Je me suis bien lavée les mains. Avec du savon brun, jusqu'au coude. J'ai aussi nettoyé ma nuque, frotté mes joues. Très fort, ma peau devint très vite rouge, le savon était râpeux. Le visage plein de savon, les yeux gonflés, la tête penchée vers l'évier, je ne pouvais me détacher du gouffre d'égout qui s'enfonçait dans le noir. Si j'étais une araignée, ce trou serait ma plus pure terreur.
A la caisse du centre commercial, devant moi, un homme crapaud. Il était vieux, sa peau plissait devant ses yeux, sa bouche tombait, son ventre gonflait devant lui, des bières et du beaujolais s'alignaient sur le tapis de la caisse. Partout sur son visage, son crane, et ses mains d'énormes pustules proéminaient. C'était bel et bien un homme crapaud. A faire peur aux enfants, à impressionner même les plus grands.
Sa femme était avec lui. Elle vidait le chariot et je ne sais pour quelle raison elle se mit à jeter les articles sur le tapis. Son mari indigné lui demanda d'arrêter. La femme se mit à rire et continuait à jeter les articles avec désinvolture. Les fruits roulaient sur le tapis, les bouteilles s'entrechoquaient. Mais arrête donc ! Fais attention ! Rien n'y faisait. L'homme crapaud abandonna, appuyé sur le chariot il la laissa faire. Tu vas finir par briser quelque chose. Elle lança des crèmes au chocolat, très mal, tout comme le reste, mais cette fois il rebondirent sur le chariot et s'étalèrent sur le sol. L'homme soupira. Il s'apprêtait à se baisser pour les ramasser mais j'étais déjà dessus.
Je me demandais quelle folie pouvait bien frapper cette femme. Quelle idiotie ! Elle semblait s'en foutre complètement... Je pris les crèmes, du chocolat dégoulinait des paquets.
"Alors, ils sont éclatés ? demandait la femme au loin
- Oui, ils ont éclaté, dis-je tout bas, épuisée.
- Oh puis c'est pas grave ! Ce n'est rien ! répondit la femme à personne, elle n'avait pu m'entendre."
Je me relevais et tendis les crèmes à l'homme qui attendait. "Il y a du chocolat un peu partout..." dis-je en dirigeant mes yeux vers lui. J'en profitais pour analyser ce visage ravagé. Je ne pouvais revenir de ses protubérances. Mon regard glissa jusqu'à ses paupières gonflées et là, à mon grand étonnement, je perçus une larme !
C'était une larme d'intelligence. De celles que j'ai vues ou devinées quelques fois dans les yeux de ses esprits incapables de s'exprimer comme ils sentent qu'ils devraient le faire. De ses hommes si sensibles qu'ils pourraient devenir les plus grandes consciences du siècle ! Alors malgré son affiliation aux amphibiens je lui souris comme je souris à chacun de ses hommes. Il renifla, me prit la crème, et se détourna tourmenté. "Merci bien, dit-il à son épaule" Il posa la crème sur le tapis sans répondre à sa femme.
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