dimanche 18 octobre 2009

Alyanie : Fume dans le froid


[Début de l'hiver, les radiateurs gargarisent. Le professeur de maths s'arrête un moment puis continue comme si de rien n'était mais j'écoute encore l'eau qui glougloute et dehors un petit vent frais de Sibérie qui avance vers nous en chantonnant : vouuuu... vouuuuhouuu... Les vents chantonnent nonchalamment, c'est dans leur état normal. Mes mains prennent leur température d'hiver et j'ai des envies de lectures devant une cheminée, de promenades cachée dans une écharpe à fumer l'air ambiant autour d'un lac au bord duquel l'herbe craque. En des temps comme celui-là je pense beaucoup au Québec, quoique jamais je ne l'ai connu vraiment rafraichi...]

Devant moi j'ai une boite en verre, dedans j'ai enfermé une luciole. La dernière de la saison probablement. Elle se repose dans un coin, bouge quand je secoue la boite, retombe parfois complètement sonnée. La luciole est malheureuse ça se voit, mais je m'en fous car ce n'est qu'une luciole et je ne l'entends pas crier. J'ai souvent envie de la croquer pour savoir quel gout elle peut bien avoir mais je me dis que ça ne vaut pas le coup, elle m'est bien trop utile. La nuit quand j'ai besoin d'un peu de lumière je souffle dessus jusqu'à ce qu'elle s'éclaire. Si sa lumière vient à baisser je souffle plus fort pour la raviver et si elle refuse je la baigne dans l'eau pour qu'elle boit la tasse... elle abdique toujours la conne.

Tous les soirs son ventre gargouille. Je bois du lait concentré devant son nez, elle me regarde dégoutée. Elle rêve de se tirer de là, elle rêve de partir loin pour le palais d'un grand sultan. Ahah ! Je vois tout ça dans ses petits yeux ! Elle est bien naïve je pense, jamais elle ne survivrait de toute façon seule dans la nature. Avec le froid, les oiseaux et les crapauds. Tous se rueraient sur elle, ils lui souffleraient avant de la gober qu'elle a fait le mauvais choix, petite, vois comme tu es vulnérable maintenant ! Non le mieux c'est que je la garde dans ma boite en verre, le mieux c'est qu'elle reste ici à regretter la liberté.

Le mieux du mieux c'est que je continue à la fatiguer pour qu'elle sorte le meilleur d'elle-même, le doux jus de ses capacités. Adieu le plaisir, bonjour le profil ! Mais aidez-moi ! Qu'on la crève ! Qu'on l'encourage à rester, qu'on lui fasse rêver des aménagements dans sa petite boite, qu'on lui dise qu'elle est faite pour produire alors que nous sommes tous d'accord : tout ça ne rime à rien, n'est-ce pas ? Tenons-la éloignée de sa jolie nature de luciole, de voltigeuse, de colporteuse d'images...

Peut-être que ce soir, sachant tout ça, vous aurez un peu de pitié pour cette luciole, pauvre petite bête... !